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10 fevrier

Odile Perceau sur Nananews.fr


Compositeur et chef d'orchestre

Actuellement en tournée dans le monde, après Munich et New-York, et avant de partir pour Pékin avec Le Quatuor de Bordeaux, Odile Perceau était de passage dans le Gers chez des amis. Une de ces rencontres orchestrées par le hasard, et c'est avec un évident plaisir que j'ai recueilli ses confidences en exclusivité pour NanaNews.



A ses côtés, Elisabeth Pommereul, artiste peintre, dont je vais apprendre au cours de l'entretien qu'elle est très impliquée dans le grand projet du compositeur : une symphonie pour peintre, soprano solo, grand chœur et orchestre.
Née en Avignon en 1966, Odile Perceau a grandi dans une famille pour qui le chant choral était une tradition :
« Et puis j'ai choisi la flûte, pour le son velouté et surtout pour la disposition de travers. Ça me plaisait ! Mon premier professeur de flûte, Gérard Garcin, était plutôt versé dans la recherche. Je me souviens de moments délirants passés dans sa cuisine à traquer des sonorités nouvelles. Nous avons même démonté un piano et mis des tiges en métal à la place des cordes. On s'est bien amusé... »
Et Odile, des années plus tard a toujours ce sourire malicieux, légèrement moqueur qu'elle devait arborer enfant.
Notre rencontre ne ressemble pas à un rendez-vous journalistique. Ses amies sont présentes et nous bavardons dans le salon largement ouvert sur la campagne gersoise par le bow-window, comme si nous étions de vieilles connaissances. Quelque chose de magique s'est produit.



« J'entends la musique en couleur »

Elles connaissent le parcours d'Odile. Il y a son hôtesse Evelyne, la peintre Elisabeth et la sœur de cette dernière. Des années de complicité les unissent et l'histoire qui se tisse devant moi, tricotée de façon polyphonique est un enchantement.
Une caractéristique particulière a orienté toute la carrière musicale d'Odile Perceau. Elle est synesthète :
« Je suis plus visuelle qu'auditive et en fait j'entends la musique en couleur. »
La synesthésie est un phénomène neurologique par lequel deux ou plusieurs sens sont associés. Les synesthètes musique perçoivent des couleurs en réponse à des sons. Le courant New-Age parle d'« enfants indigos ».
Indigo, la couleur que je perçois de l'intériorité d'Odile, à partir de son regard à la fois grave et pétillant qui l'irradie toute...
 
« Je pensais que c'était le cas de tout le monde d'entendre ainsi donc je n'en parlais jamais. Un jour que mon maître, Sergiu Celibidache, jouait, c'est parti tout seul, j'ai cri : c'est bleu ! Et il m'a dit que lui aussi avait cette particularité. Je devais apprendre à m'en servir. Du moment où j'en ai pris conscience, tout s'est ouvert. Celibidache et moi, nous voyions les mêmes couleurs ! J'ai compris que la symphonie que j'avais commencée à esquisser serait une petite révolution. »
 
Cette « Symphonie pour peintre, soprano solo, grand chœur et orchestre » (231 musiciens), commencée il y a un peu plus de vingt ans, sera créée en 2014 simultanément dans la cour carrée du Louvre et dans la cour de la Cité interdite à Pékin :
« Jusque là c'était du gros œuvre. Mais là, on va faire naître un nouveau concertiste, le peintre. Il sera un nouvel instrument. »
Odile et Elisabeth, l'amie peintre, me décrivent ce qui va se passer. La scène sera occupée par les musiciens et une toile de 9 mètres de hauteur sera tendue à l'arrière de la scène. Elisabeth évoluera dans une nacelle, non pas en improvisant mais selon des codes bien précis sur lesquels elle travaille avec Odile depuis 1993.
« Il ne s'agit pas d'une performance en public. On ne me verra pas », dit Elisabeth.
« Le peintre sera en fait un nouveau solo, » ajoute Odile.
Elle explique qu'on ne verra l'œuvre, une peinture éphémère d'une durée de quelques heures, qu'à la fin du concert seulement.

Le travail technique qui sous-tend l'ensemble du concert est lourd :
« Comme c'est une symphonie, il faut aussi de l'amplitude pour le peintre... et puis, curieusement, alors que je suis une visuelle, Elisabeth est une ... auditive. J'ai vu beaucoup de peintre avant de la rencontrer. Elle travaillait sur le Requiem de Mozart. C'était déjà un signe. Et toujours sur grands formats, un autre signe ! »
Pour la tester le jour de l'entretien, Odile se met au piano et joue quelques thèmes qu'Elisabeth doit peindre :
« Elle a bien réagi. J'ai pris Ravel, la Suite n° 2 de Daphnis et Chloé. Et voilà. »
Elisabeth dit :
« Nous sommes devenus des amis : musiciens, techniciens, moi le peintre, Odile, tous ensemble pour vivre cette magnifique aventure, à la fois humaine et technologique. On fait du travail en direct, c'est la vie à vif, cette création. »
Odile reprend :
« La construction du spectacle, c'est tout un travail, il faut bien finaliser pour être à l'aise. C'est vrai, la partie technique compte mais elle est au service de la création. »
Et une chose importante, qui participe de la générosité évidente d'Odile Perceau : les concerts seront gratuits, grâce au mécénat qui a permis le travail de création :
« Il faut que ce soit accessible à tout le monde et donc ouvert ! »
 
De la flûte à la baguette
Tout a commencé dans l'enfance avec Gérard Garcin, son premier professeur de flûte qu'Odile a dû quitter pour poursuivre son cursus scolaire. Bénéficiant de la loi Haby, pour ses deux dernières années de lycée, elle intègre la section littérature et musique. Et puis elle passe le concours d'entrée au conservatoire. Son professeur, Michel Clergues, mène alors une belle carrière à l'Opéra d'Avignon. Hélas, Odile qui précise combien il était bel homme, a cours avec lui les jours « où il a son aïoli », brisant le charme ! Un souvenir dont elle rit encore.
Ce professeur est important car il voit tout de suite sa véritable vocation. En fait, Odile, douée d'aptitudes un peu mystérieuses, - ce qui est le propre des artistes, passerelles vivantes entre le visible et l'invisible - attire sur sa trajectoire ceux qui vont apporter à sa voie des éléments essentiels. Michel Clergues en fait partie, et plus tard ce sera le prestigieux chef d'orchestre, Sergiu Celibidache (voir en note).
« Alors que j'adorais jouer de la flûte et que je travaillais six heures par jour, voici que Clergues me dit : il faut que je te parle. Tu ne seras pas flutiste. Et il explique : tout t'intéresse. Tu passes beaucoup de temps dans les salles de musique. Toi, c'est la baguette ! Ma réaction a été instantanée : oui, pas bête, ça ! Le jour même je suis allée acheter ma baguette, c'était un geste symbolique car je l'ai placée dans un tiroir et ne l'en ai ressortie que sept ans plus tard. Et j'ai continué de jouer de la flûte de plus belle, comme si je n'avais rien entendu. Mais ça me trottait dans la tête. D'ailleurs, je n'ai pas fini le cursus...»

Dans le même temps, Odile Perceau compose en secret :
« C'était encore trop intime. »
Puis elle monte à Paris mais, sans son professeur, elle pense impossible de continuer à jouer de la flûte. Par hasard, elle feuillette Le Monde de la musique et tombe sur l'annonce d'un séminaire phénoménologique de la musique à Cluny avec Sergiu Celibidache qui est alors directeur musical des Münchner Philharmoniker. Le directeur de musique en Bourgogne où elle travaille l'encourage à y aller. C'était ouvert à tout le monde.
« J'avais 20 ans et un grand besoin que quelqu'un me confirme dans la direction d'orchestre si c'était bien là, ma destinée et je savais que lui me donnerait mes réponses. Sergiu Celibidache avait 75 ans. C'était un bel homme. Un grand. Hors normes. C'était vraiment quelqu'un comme lui dont j'avais besoin. Je voulais un maître depuis longtemps... Il était sans concession, d'une exigence terrible et de plus, c'était un visionnaire. Je suis restée avec lui de 1986 à 1992. J'ai été comblée, musicalement, spirituellement et philosophiquement. Cet homme lisait dans l'être : il savait qui on était et il nous prenait là où on était ! »
(Dans le même temps, de 1989 à 1991, elle est l'assistante musicale de la Maîtrise des Hauts-de-Seine/ Chœur d'Enfants de l'Opéra de Paris.)
 
 
« Sergui Celibidache m'a donné toute la force... »
Très vite donc, Celibidache confirme que son destin, c'est la direction d'orchestre et Odile, alors, ressort sa baguette du tiroir où elle l'attendait.
« Il me disait : il faut qu'une baguette aille à la main et celle là ne te va pas. Mais je ne voulais pas m'en défaire ; de plus, c'était la même que la sienne. »
Odile a du caractère et indubitablement cela doit plaire au maitre que tout le monde appelle maître... sauf Odile :
« Vous avez un prénom, moi c'est Odile, vous c'est Sergiu, je vous appellerai donc par votre prénom... »
Le maestro pousse Odile à la composition : « Tu as ça », lui dit-il. Et il ajoute avec une détermination qui plante en elle foi et confiance : « Promets-moi de ne pas abandonner. Ce que tu fais là, tu es en avance, tu vas bouger le monde des musiciens. »
Il le sait, depuis 1984, Odile a commencé à esquisser sa fameuse « symphonie pour le peintre... ».
« C'est une harmonie qui arrive, on est baigné dedans... Lui, il voyait mon travail... »
Cette œuvre magistrale et révolutionnaire, lui prend vingt ans de son existence, la nourrit, la porte. C'est le grand-œuvre de sa vie – à l'instar des compagnons bâtisseurs de cathédrales - .
Mais, nous a dit Odile, le maestro est visionnaire et voici ce qu'il lui prédit :
« Sache que tu commenceras à diriger quand trois choses se seront produites : 1° un jour tu trouveras un livre sur la Genèse qui répondra à ta question ; 2° tu vas trouver la baguette qu'il te faut et 3° ce ne sera pas de mon vivant. »
« Tout cela s'est avéré... Un mois avant d'apprendre son décès, j'ai trouvé le livre « Alliance de feu » d'Annick de Souzenelle sur la Genèse. Deux tomes passionnants. Et j'avais effectivement la réponse à mes interrogations sur la traduction courante de l'Hébreu qui ne me satisfaisait pas. Un mois plus tard on partait à Washington (où elle se liera d'amitié avec Evelyne, son hôtesse chez qui nous nous trouvons pour cet entretien, ndlr). J'ai fait un crochet par New-York et près de Carnegie Hall, bien en vue dans une boutique, LA baguette m'attendait, les mêmes références que celles que Celi préconisait ! Et comme il l'avait dit, elle était faite pour ma main. C'était magnifique de vivre ça !! Il m'a donné la force.
Et depuis, j'alterne entre l'écriture et la direction. »
Parallèlement à la composition de sa symphonie, Odile Perceau écrit d'autres pièces, toujours indépendante à l'égard des techniques d'écriture attachées aux chapelles et institutions, dans ce monde très hiérarchisé qu'est le monde de la musique. Une véritable audace.
« La musique contemporaine fait peur. Quand je dis à un programmateur de spectacle que je suis une créatrice contemporaine, il y a blocage. Je dois alors argumenter, préciser que je fais de la musique tonale...
La musique contemporaine, et je la trouve intéressante pour la recherche, mais on se déconnecte du public. La musique, sortie du cœur, doit toucher les cœurs. On se met au service, il faut laisser jouer... »
 
Son parcours
En 1990, ses Pièces sacrées pour Chœur de Femmes et Corps de Ballet d'Hommes sont créées en l'église Saint-Eustache à Paris et enregistrées pour la radio publique France Musique. Cette même année, elle dirige l'Orféo de Monteverdi dans le cadre du Festival du Château de Lascours. Lors du bicentenaire de la mort de Mozart en 1991, Odile Perceau dirige la Messe en Ut mineur à Paris et Prague avec l'Orchestre symphonique Altaïr et le Chœur d'Enfants de l'Opéra de Paris. En 1994, elle écrit la comédie musicale Vivre, dédiée aux enfants atteints par le Sida. Ce spectacle sera joué en France, en Côte-d'Ivoire et aux États-Unis. En 1998, elle compose, dirige et enregistre la musique du dessin animé les Globulyss à l'attention des enfants touchés par la leucémie, avec les solistes de l'Orchestre national Bordeaux-Aquitaine. Ce dessin animé est diffusé sur France 3 et Arte.
Depuis 1998, Odile Perceau assure régulièrement la direction artistique d'enregistrements pour les labels indépendants de musique classique Solstice et Timpani. En 2002, elle fonde le Khloros Concert, composé de musiciens et de chanteurs professionnels venant de France et de l'étranger. Elle ouvre la première saison de cette nouvelle formation à Nîmes et Montpellier ainsi qu'à la Sainte-Chapelle de Paris sous le Haut patronage de son Excellence l'ambassadeur des États-Unis, avec un programme dédié à Pergolèse et des pièces pour cordes de sa composition. Le Khloros Concert se produit régulièrement depuis et se prépare notamment à la création de la 1ère symphonie d'Odile Perceau.
2002 sera aussi l'année de sa rencontre avec Elisabeth Furtwängler, épouse du chef d'orchestre et compositeur allemand Wilhelm Furtwängler (1886-1954).
En 2001, Odile Perceau commence l'écriture des « Partitas Romanes », qu'elle achève en 2005. Elles sont écrites pour Agnès Pereira et Etienne Péclard et dédicacées à Elisabeth Furtwängler. 2007 voit la naissance de son premier quatuor pour cordes : « Garonne », composé pour le Quatuor de Bordeaux et dédicacé à Ioana Celibidache, l'épouse du maître qui a tant compté dans les débuts de sa carrière.
Ce même « Garonne » qui fait l'objet actuellement de la tournée du Quatuor de Bordeaux à travers le monde et qui sera en en Chine en avril prochain avant de terminer en juillet par Athènes.
 
 
Notes.
Sergiu Celibidache (1912-1996), membre de l'Académie Roumaine
Célèbre chef d'orchestre roumain, il étudie la philosophie et les mathématiques à Bucarest, puis fait ses études musicales à Berlin où il dirigera ensuite l'Orchestre Philarmonique, en 1946 et avec Furtwängler à partir de 1947 jusqu'à la mort de ce dernier en 1954. À partir de 1959 il travaille avec l'Orchestre symphonique de la radio de Stuttgart, et commence en 1960 à donner des classes de maître en direction d'orchestre à l'Académie musicale de Sienne. Entre 1960 et 1963, il dirige l'Orchestre royal du Danemark et de 1962 à 1971 il est directeur en chef de l'Orchestre symphonique de la radio suédoise, qu'il a totalement reconstitué.
Il a beaucoup réfléchi sur la musique ; son travail intellectuel (la phénoménologie de la musique), qu'il transmettait uniquement oralement, est considérable.
Créateur, pédagogue et figure charismatique, Celibidache a puisé dans Plotin, la phénoménologie husserlienne et le bouddhisme zen le moyen de traverser la surface de la musique en direction d'une vérité dont Furtwängler était avant lui peut-être le seul et dernier dépositaire, mais au sein d'un univers culturel humaniste et goethéen très différent, quoique tout aussi "inactuel" au regard de la période historique où il prenait place.
Il reste indubitablement l'un des chefs les plus exigeants et les plus novateurs de la seconde moitié du XXe siècle, et à coup sûr celui dont les interprétations auront contribué à prolonger par des voies inédites la vocation métaphysique de la musique occidentale.